Marie en attente
Dans l’Évangile, Notre Seigneur insiste énormément sur l’état d’âme, le comportement intérieur. L’être est amour comme Dieu. Aussi Jésus-Christ est-il hanté par le besoin de nous savoir dans l’amour. C’est la seule chose qui l’intéresse. Jamais vous ne le verrez insister sur ce que l’on fait ou ce que l’on ne fait pas, mais sur ce que l’on EST […].
L’attitude essentielle d’un être humain, Notre Seigneur nous la dit : « Soyez en état d’amour et soyez en attente … », comme l’homme qui se tient prêt, sa ceinture nouée, ses sandales aux pieds, son bâton à la main. […]
Jésus-Christ tient à cet esprit d’attente. Quand il donne les béatitudes, c’est encore de l’attente : « Bienheureux les pauvres par l’esprit… » parce qu’ils attendent, ils recevront.
« Bienheureux les doux… » ils attendent qu’on les travaille et se laissent travailler, ils sont malléables. « Bienheureux les miséricordieux.. » ils regardent la misère, ils attendent.
Et si c’était une des formes de l’amour d’être toujours en état d’attente ?… Notre misère est d’être impatients, de ne pas savoir attendre. Nous voulons toujours avoir. Et quand nous avons, nous ne sommes pas contents, heureusement, c’est le signe que nous attendons encore. Mais il nous faut parvenir à « consentir », à prendre notre parti d’être des créatures en attente.
Qu’est-ce que l’attente ? Un désir confus.
Qu’attendons-nous ? Nous n’en savons rien, personne ne sait ce qu’il attend. Nous sommes des êtres de désir.
Jésus-Christ a-t-til attendu ? Oui, il a attendu toute sa vie. A un moment donné il dira : « J’ai a être baptisé d’un baptême, et comme j’ai hâte de le voir s’accomplir ! Je suis venu mettre le feu sur la terre et qu’ai-je à désirer, s’il est déjà allumé ? Oh ! Le Baptême de la mort, voilà ce que j’attends. » Après sa résurrection, Il regarde en avant et Il attend encore.
Disons-nous que l’attente est un état normal, congénital à notre vie : l’état normal d’un être qui n’est pas fini.
Regardons Marie. Elle est l’attente personnifiée. Avant l’Annonciation, elle était un être de désir. Que désirait-elle, elle ne savait pas. Elle désirait et attendait ce règne de Dieu. Elle désirait que tout ce que les prophètes avaient annoncé se réalise. […] Si elle n’avait pas été en état d’attente totale, elle n’aurait pas reçu en totalité l’Esprit-Saint. Nous recevons dans la mesure où nous attendons. Dans le mesure de notre vide, nous appelons et nous recevons.
Dieu ne peut rien nous donner si nous n’avons pas cette collaboration de l’attente et du désir. Faites le vide, ce vide même est la place qui attend.
Avant l’Annonciation, Marie attend. Au moment de l’Annonciation elle reçoit un germe et il faut qu’elle attende. Quel va être l’avenir désormais ? Joseph s’aperçoit qu’elle est enceinte, il ne comprend pas, il attend. La nuit, il a un rêve prémonitoire qui lui indique ce qu’il doit faire. Mais qu’arrivera-t-il après, quand elle aura son enfant ?
Nous nous imaginons souvent que Marie voyait très clair. Elle avait la foi, oui, mais elle n’était pas en état de vision béatifique. Elle était en état terrien de foi. Comme une autre maman, elle voyait un petit enfant qu’elle lavait…
Pendant trente ans elle le regarde, trente ans d’attente de quelque chose qu’elle ne sait pas. Peut-être n’ose-t-elle pas le lui demander, parce qu’Il a 30 ans ! Elle ira seule à Nazareth, pendant que Jésus descend voir Jean-Baptiste sur le Jourdain. Puis il reste quarante jours dans le désert.
Pendant ce temps-là, Elle attend. Elle sait bien depuis les 12 ans de Jésus, qu’il ne faut pas lui poser de questions au sujet de ses rapports avec son Père. Elle lui fait une pleine confiance, c’est son enfant ; elle vit continuellement cet état d’attente, que nous n’aimons pas. Nous autres, nous voudrions déjà voir la réalisation de tout.
Jésus revient et lui dit : « Mère, nous allons sortir de Nazareth, il faut que j’aille annoncer la bonne nouvelle à tout le monde ».
Il va à Capharnaüm, s’établit dans la région, continue peut-être de travailler pour vivre. Marie est avec lui ; il commence à prêcher ; des disciples (Pierre, Jacques et Jean) viennent près de Lui. Marie le suit et, doucement, d’autres femmes, qui s’occupent simplement du petit groupe. Elles font et réparent leurs habits, s’occupent de toutes les tâches matérielles. De temps en temps, Jésus part seul, Marie attend.
Je crois qu’elle est simplement une mère en attente, une mère pleine de confiance. Elle entend les pharisiens dire du mal de Jésus, elle apprend qu’ils l’ont excommunié d’Israël, qu’ils veulent le mettre à mort. Elle va à Jérusalem. Elle sait que les gardes ont reçu l’ordre de le saisir. […] Pauvre Marie, tendue toujours ainsi avec un cœur de mère torturé. La Passion approche. Elle est là, elle sent que le moment est venu. Jésus sait qu’Il va mourir et Il ne le cache pas. […] Au calvaire, elle est à distance, debout avec les autres femmes. A la fin, quand il va mourir, Il lui dit : « Femme, voilà ton fils. Jean, voilà ta mère. » Elle ne comprend pas, elle est dans le noir le plus complet. Les disciples diront : « On espérait…, mais maintenant c’est déjà le troisième jour… » […] Le samedi saint, peut-être est-elle à Béthani. Tout le monde attend. Comme le mourant qui ne sait pas ce qui l’attend de l’autre côté. Il attend sans savoir, il ne voit pas… C’est l’attente de la foi.
C’est alors que Jésus ressuscité apparaît. Marie-Madeleine vient la voir : « Il m’a dit d’aller avertir les apôtres. » Elle ne sait pas du tout ce qui va venir. Pendant 40 jours, tantôt elle le voit, tantôt elle ne le voit pas. Tout à coup il disparaît dans l’obscurité lumineuse. Sur terre désormais elle ne le verra plus.
Après la Pentecôte les apôtres s’en vont à travers le monde. Marie regarde : « Que va-t-il se passer ? Le règne de Dieu va venir, mais comment ? »
Nous mêmes avons compris ce qu’est l’attente en faisant notre travail, quel qu’il soit. N’espérons jamais trouver un travail, une situation, n’importe quoi qui nous satisfasse, non. Il faut en prendre notre parti, l’état d’attente est notre attitude normale. Nous disons toujours : « Que vais-je faire ? Que va-t-il m’arriver ?… » Mais nous ne faisons pas le monde, ce n’est pas nous qui le créons. Attendons ce qui se prépare, ne nous inquiétons pas.
On dirait que Notre Seigneur a eu peur que nous soyons satisfaits de ce que nous avons. Aussi, laisse-t-il échouer par ci, par là, pour que vous attendiez, parce que cet état d’attente lui prépare la place dans laquelle Il viendra. Le jour où vous serez bien satisfaits de tout, vous êtes à peu près mort. Dieu ne peut rien vous donner, si vous n’attendez rien. Mais si vous attendez, Il vous donnera, ne vous inquiétez pas.
Disons-nous donc que l’attente est l’état absolument normal, pendant que nous sommes dans le temps. Ne vous attendez pas à trouver jamais sur terre satisfaction
Le monde est en état de création, donc de dépassement continuel. Rien de ce que nous avons n’est définitif. C’est la grande raison de cet état d’attente. Mettons-nous dans cet état éternel qui consiste à désirer et à aimer en même temps ; non pas d’amour de possession, ce qui est le contraire de l’amour, mais d’un amour qui désire. Voilà la leçon que donne Marie. De même les saints, ils ont toujours été en état d’attente. La petite Thérèse, coincée dans son carmel jusqu’à la mort incluse, attend, elle parle toujours au futur.
Regardons bien dans cette direction-là : ÊTRE EN ÉTAT D’ATTENTE, UNE ATTENTE CHARGÉE DE DÉSIR ET D’AMOUR.
P. Monier (extraits d’une causerie à Marmoutier)