Si Jésus est réellement le Fils de Dieu, à un titre personnel, unique ; si en Lui, Dieu est visible à l’état pur, comment envisager désormais de vivre autrement qu’en fonction de cet être unique?
Jésus est alors, nécessairement, l’unique idéal humain possible. Il doit devenir notre raison d’être et de vivre. Qui croit en Jésus doit logiquement lui vouer un amour absolu.
Si, nous rejetons ce que Jésus dit de lui-même, nous revivons l’expérience qui fut celle de ses premiers adversaires. Nous éprouvons qu’il n’est pas possible d’écarter d’un revers de la main le problème qu’il pose et nous classons celui-ci parmi les sujets sans importance, pour continuer notre route comme si la rencontre n’avait pas eu lieu.
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En effet, s’il n’est pas intellectuellement possible de prouver que Jésus a raison, il n’est pas davantage possible de prouver qu’il a tort. En dehors de l’explication qu’il donne sur son identité, il ne reste que deux interprétations logiques : la folie ou l’imposture. Et tout serait simple, si nous pouvions, avec une tranquille assurance, avancer l’une ou l’autre. Nous pouvons les avancer, mais ni avec tranquillité, ni avec assurance.
Si ce n’est pas par Dieu qu’il est motivé, pas qui? Si ce n’est pas devant Dieu qu’il s’efface lui-même constamment, devant qui est-ce? Comment expliquer un effacement qui va jusqu’à la lucide acceptation d’une mort horrible?
En quoi le Dieu dont Jésus assure être la parfaite image n’est-il pas authentique ? Qu’a fait Jésus qui soit incompatible avec la qualité de Fils de Dieu qu’il dit être la sienne?
S’il est inconfortable et compromettant de croire en Jésus, il est non moins inconfortable de ne pas croire en lui. Qui lui refuse son adhésion doit pouvoir se prouver à lui-même que l’idéal de la vie de coïncide pas avec celui que Jésus incarne, que l’existence humaine n’a pas d’ouverture sur l’infini ou alors que Dieu n’existe pas.
Et si tout en refusant notre adhésion à Jésus nous n’arrivons pas à nous donner la certitude qu’il a tort, il ne nous reste qu’à vouer une haine sans merci à quelqu’un qui pose à notre conscience un aussi irritant problème?
La haine étant l’inversion de l’amour garde avec celui-ci d’étranges points communs : en particulier, celui de ne pouvoir se détacher de son objet. L’amour et la haine poursuivent leur objet et n’ont de cesse qu’ils ne l’aient étreint. L’amour pour fondre en lui, la haine pour le détruire.
Nous devons comprendre pourquoi les plus proches de Jésus sont ceux qui l’aiment davantage et ceux qui le haïssent le plus : ils sont, les uns et les autres, les seuls à l’avoir vraiment rencontré.
Ceux qui le haïssent sont effectivement parmi les plus proches de lui, contrairement à d’autres restés prudemment à distance, de crainte qu’une rencontre trop proche ne vienne troubler leur tranquille mais fausse bonne conscience.
P.M.
Brancion, automne 1972
