Le Père Prosper Monier, jésuite (1886-1977)
Né à Innimont, un petit hameau des montagnes de l’Ain, et orphelin de père puis de mère dès l’âge de 11 ans, il fut ordonné prêtre en 1909 à Beley. Remarqué pour ses qualités intellectuelles et spirituelles, son évêque l’envoya ensuite suivre les cours de l’Ecole Biblique de Jérusalem qui venait d’être fondée par le Père Lagrange, le grand rénovateur de l’exégèse catholique. C’est sur les chemins et dans les lieux de Palestine, ceux-là même de Jésus, qu’il prit la résolution qui allait guider toute sa vie, celle de « s’attacher irrémédiablement à la personne de Jésus-Christ », non sans avoir dû surmonter les remises en cause nées de la critique historique de la tradition textuelle.
Dans les années 1920, après son noviciat dans la Compagnie de Jésus, il renonça rapidement à une carrière toute tracée de professeur d’Ecriture sainte, ne pouvant supporter, dans l’atmosphère de conservatisme catholique de l’époque, de devoir voiler sa pensée en enseignant une religion conventionnelle. C’est en tant qu’aumônier d’étudiants, en France et en Afrique du Nord, que sa parole libérée et libératrice put communiquer sa flamme à de jeunes auditeurs assoiffés de spiritualité ouverte et vivante. Beaucoup d’entre eux le suivront toute leur vie.
A partir de 1935, toujours sur les routes, celui que certains de ses collègues jésuites appelaient désormais le « prophète de Jésus-Christ » s’adressa à un auditoire encore élargi, religieux et laïcs de toutes conditions et de tous âges, lors d’innombrables sessions et rencontres.
En 1957, quand le Père Monier prit connaissance du projet d’Air et Vie : réaliser une petite structure d’accueil sans étiquette religieuse mais ouverte au tout venant, avec essentiellement un climat de convivialité, il proposa de s’y engager, ce qu’il fit de 1958 à 1970. Au cours de cette période il résida souvent à Air et Vie, tout en animant de fréquentes sessions ailleurs en France et dans les pays francophones.
Très atteint dans sa santé, il a passé les sept dernières années, de 1970 à 1977, au Châtelard, résidence jésuite près de Lyon, mais demanda avec insistance d’être inhumé à Air et Vie. Il y avait en effet repéré, sous les frondaisons, un lieu modeste et paisible, où, disait-il, les passants, les âmes en peine, pourraient venir causer avec lui s’ils en avaient besoin. Les autorités jésuites ne lui ont pas refusé cet unique désir qu’il leur aura jamais exprimé au cours de sa longue vie. C’est ainsi que Mgr Elchinger, alors évêque de Strasbourg et proche de longue date du Père Monier, a célébré ses funérailles à l’abbatiale de Marmoutier.
Si le Père Monier a bien été un homme de la parole, il l’a été non pas du fait qu’il aurait maîtrisé l’art rhétorique du prêcheur, lequel lui était complètement étranger, mais parce- qu’il était tout entier, corps et esprit, dans sa parole lorsqu’il s’exprimait, et que la Parole l’habitait au point d’irradier de lui, même lorsqu’il ne disait rien. C’est ainsi qu’un petit enfant dit un jour de lui : « Je ne comprends pas ce qu’il dit, mais lui je le comprends ».
Malicieusement provocateur, il aimait à surprendre en disant que le christianisme n’était pas fondamentalement une « religion » (au sens d’un système de normes et de pratiques religieuses), mais une « relation » (sens etymologique d’ailleurs du terme religion) personnelle à Dieu le père à travers l’humanité de son fils Jésus, dans la participation au même Esprit qui n’était autre qu’un esprit d’amour. Pour le Père Monier, le chrétien devrait donc se vivre et être perçu avant tout comme un « volontaire de l’amour », c’est-à-dire une liberté libérée par l’amour inconditionnel de Dieu et qui s’en fait le relais autour de lui.
Aussi le Père Monier a-t-il eu toute sa vie, à l’exemple de Jésus lui-même, la hantise de porter une parole libératrice des peurs (de l’enfer, du péché …) , des interdits, des contraintes formalistes et des attentes de récompense « donnant-donnant », dont le rapport de l’Homme à Dieu reste paradoxalement trop souvent perverti.
Pour le Père Monier, comme l’a rapporté le Père Varillon dans l’homélie de ses funérailles, ce message d’une liberté indissociable de l’amour était celui-là même de Jésus :
« Je viens libérer votre liberté emprisonnée de tant de liens ! Je vous libère du déterminisme en vous révélant que tout est amour. Je vous libère de la souffrance en vous aidant à en faire un moyen d’exprimer l’amour. Je vous donnerai ma liberté de fils dans la maison ; je vous libérerai de toute loi extérieure à vous. Avec moi, vous pourrez jouir de la suprême indépendance, celle de l’amour ».