Carnets personnels inédits (fragments)

1904 – 1907

1904 : le Père Monier avait 18 ans et venait d’entrer comme étudiant au Grand Séminaire

Voyageur pour l’éternité… appelle un compagnon de route ! Il en est un qui répond toujours : c’est Dieu! Ah! Quand, chaque matin, tu l’as appelé par ta prière et que pour ainsi dire tu as mis ta main dans sa main, quand surtout tu l’as uni à toi par cet acte divin qu’on appelle le sainte communion, va en paix!

La lumière qui éclaire les objets terrestres vient du soleil ; ainsi la source de l’amour créé c’est l’amour de Dieu, c’est Dieu qui est amour et de cette source intarissable l’amour coule sur la terre et remplit tout…

Cet amour infini, ce fleuve d’infinie félicité qui va du Père au Fils et du Fils au St Esprit, il l’a laissé un jour envahir l’humanité pour la béatifier. »

Dieu et l’âme : la merveille est que Dieu recherche et poursuivre l’âme humaine avec une ardeur et un amour inexprimable. On dirait qu’il ne peut vivre ni être heureux sans elle. Il a creusé un vide à tous les points où il désire entrer.

En nous considérant nous-mêmes, nous découvrons ces vides démesurément profonds que Dieu seul peut combler. Harmonieuses convenances qui attestent que Dieu a fait l’âme pour lui et que hors de lui elle ne saurait avoir ni rassasiement ni repos.

Avril 1906

La vue des étoiles me fait peur ; elles me condamnent. L’Infini me tourmente et fait ma grande consolation. Mon Dieu! Je vous aime parce que vous êtes cet infini que je perçois de l’autre côté des astres… Infini, Infini! Je suis dans l’Infini ;  et cet Infini c’est un Être, beau, bon, qui m’aime, qui veut que je l’aime! Pourquoi cette impuissance à mettre en pratique cet amour qui m’inonde quelquefois.

Dieu se donne à nous tout entier… qu’est-ce donc que notre âme pour que cette image de lui l’attire… et que devient notre âme après cette union Divine? Le ciel, il est là, il est en moi avec une effrayante réalité. Là où est Dieu, là les anges et les élus l’adorent. Quelles merveilles incomprises… La création naturelle qui me paraît si belle, je la verrai pâlir après ma mort à côté du reflet divin que je porte en moi et qui m’apparaîtra soudain…

Nous dépendons de Dieu comme créature, conservateur et rédempteur : la statue dépend de celui qui l’a créée, lui appartient, a fortiori s’il la conserve. S’il la perd, qu’il la rachète, même si elle lui appartenait, elle lui appartient doublement.

Lorsque vous voyez un objet dans un atelier dont vous ne savez pas la destination, vous demandez : pourquoi cela, à l’ouvrier. Eh! bien demandez à Dieu, pourquoi vous êtes sur terre, vous son objet, la chose qu’il a faite… Comme le soleil luit, comme la lune éclaire la nuit, comme les oiseaux chantent, ainsi l’homme doit aimer Dieu, et pour l’aimer, Dieu lui a donné un cœur puissant comme l’indéfini.

Si l’homme ne veut plus de Dieu, qu’il change alors sa condition de créature, il a été créé par Dieu, il ne peut le changer pour le passé ; mais au moins pour l’avenir il va se passer de lui pour vivre ; il va se faire un monde à lui ! il va se rendre éternel. Insensé !

Le Christianisme a mis dans l’âme humaine des ambitions que l’on ne peut plus arracher : le besoin d’une foi dans l’esprit, le besoin d’un bonheur infini dans le cœur.

Une vie qui se passerait à ne pas commettre de péché, mais rien de plus ; qui se maintiendrait sans action dépensière à l’extérieur ; est-ce une vie… Certes non !                 Ce serait une vie manquée, ce serait un péché habituel ; l’enfouissement du talent donné par Dieu.

Il est consolant de penser que Jésus viendra lui-même à notre dernière heure nous prendre et nous conduire à son Père dans son royaume, comme par la main. La douce et sainte apparition que celle de cette figure amie au moment où tout va nous quitter et où nous mettrons le pied sur le seuil mystérieux de la vie future ! Étienne lapidé vit cette solennelle apparition de Jésus. Ainsi tout croyant s’écriera à sa dernière heure : « Video coelos apertos et Jesum stantem ! » Le plaisir d’entrer là-haut la main dans la main avec J.-C. !

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JERUSALEM (1909-1911)

Remarqué par ses supérieurs pour ses qualités intellectuelles et l’ardeur de sa foi, le jeune Prosper Monier est envoyé à 23 ans à l’École pratique des études bibliques de Jérusalem, qui venait de s’ouvrir à quelques étudiants. Son fondateur, le père Lagrange, savant exégète, affrontant les vives attaques des traditionalistes, avait décidé d’étudier les textes bibliques à la lumière des méthodes d’analyse historique que l’on appliquait aux textes de l’Antiquité. L’étude de la Bible et de l’évangile de Marc, notamment, fut pour le jeune Monier l’occasion d’une crise intellectuelle qui le bouleversa.

Le Père Lagrange

11 décembre 1909

Je commence à sentir le poids du devoir d’état. Malgré tout l’attrait qu’ont pour moi les études bibliques, je sens quelquefois un fatigue spéciale, j’aurais besoin de repos, d’un changement d’occupation. J’aurais surtout besoin de quelque temps de retraite avec Jésus… Et je suis pris par le travail. Je me sens quelquefois comme accablé.

25 décembre 1909

Je commence à savoir ce que sont les tentations contre la foi. Sentir toute la force des arguments contre les dogmes fondamentaux, voir clairement l’explication que j’appelle rationnelle de toute la religion. Aller jusqu’à se demander quelle valeur on doit donner au dogme…

En face de cela, n’avoir que sa volonté tournée au surnaturel, l’amour de cela même qu’on discute. Quelle souffrance de se dire : peut-être, ce que je crois est faux. Mais la volonté se révolte. Je crois, c’est à dire… j’aime. Pour atteindre l’intelligence il faut frapper au cœur. J’aime à visiter Jésus. Depuis que je suis exilé, je sens mieux combien il est mon tout.

30 décembre 1909

Bethléem ! nuit de Noël à Béthléem ! Les champs de Bethléem où chantaient les anges…

2 janvier 1910

Le père Lagrange est un exemple marquant de la marche vers la vérité dans un chemin épineux ; il est vrai que c’est lui qui le fraie.

Février 1910

Quelle peine pour quelqu’un qui a été gâté de Dieu, qui après avoir reçu les faveurs les plus signalées dans son enfance, s’est vu consacrer pour Lui. Quelle douleur pour cette âme de se sentir comme abandonnée de Lui, d’être obligée de se cramponner comme désespérément à la conscience intime qu’elle a de la vérité, tout en s’apercevant que le terrain sur lequel elle marchait si assurément glisse sous ses pieds… Son intelligence obnubilée ne lui simplifiera que le doute… Caritas sola manet [seul reste l’amour].

8 mars 1910

En me promenant sur la terrasse, j’arrête souvent mon regard sur la coupole du St Sépulcre, sur cet horizon divin. Il y a 1900 ans un homme se promenait à Jérusalem, affable, noble. Il étonnait ses contemporains par son « âme ». Il prêchait la douceur, l’humilité, l’amour, avec force, avec l’accent de la vérité. Il se fit crucifier, lui qui commandait à la nature, aux hommes, aux démons. C’est là que se dressa sa croix. Il mourut, pourquoi… pour qui ? Seul un amour infini peut expliquer cette mort.

15 mars 1910

La tentation éprouve et, après l’épreuve, purifie. Après la secouée que j’ai dû subir ces temps, je sens que ma foi est plus solide ; je la sens surtout plus pure, c’est à dire dégagée du factice, du conventionnel qui s’attache à la piété. Jésus m’apparaît mieux sous son véritable jour : le Dieu-homme, sauveur… principe du surnaturel pénétrant toute notre vie.

Semaine sainte à Jérusalem

Aller au Cénacle, descendre dans la vallée du Cédron, la remonter jusqu’à Gethsemani… C’est là refaire le chemin que suivit il y a 1910 ans, un soir après un repas d’amour, non un saint, mais un être ineffable… un Dieu fait homme par amour !

24 avril 1910

Je connais des gens qui sont sceptiques pour se venger de leur ignorance ou de leur incapacité. L’amour est, de soi, extatique : c’est à dire, de soi, se porte au-dehors.

28 mai 1910

Il est temps que le grand public soit saisi de l’évolution qui se fait dans la critique des sources religieuses que, pour ma part, je considère comme nécessaire au mantien de la foi dans les régions intellectuelles.

Juin 1911

L’essence de mon tempérament est le radicalisme. Je ne puis sommeiller dans l’à-peu-près. Instinctivement, je poursuis en tout l’accomplissement, la perfection : être, connaître en plein, aimer jusqu’au bout, comme je fis toujours…

19 juin 1911

Je suis maintenant arrivé à un des moments les plus critiques de ma vie. Je souffre…. Est-ce qu’il y a quelque chose de vrai ?

24 juin 1911

Il faut être sincère avec Dieu, se présenter à Lui avec ce que l’on a, sans rien emprunter à un idéal qu’on n’a pas encore. On lui donne qu’on aime comme on peut, sinon comme on veut, avec une demi-volonté, si elle n’est pas entière.

Le silence de l’homme devant l’infini de Dieu, voilà la plus belle louange que la créature puisse lui donner.

27 juin 1911

Devant la foi, je ne vois rien, c’est l’obscurité la plus complète que j’aie connue.

26 août 1911

Depuis quelque temps tout semble s’être ligué contre moi pour me faire oublier le pacte d’amitié que j’avais fait avec Jésus. J’ai gardé ce pacte longtemps et je me flattais de n’avoir d’autre ami que Lui. Or depuis quelque temps je manque bien un peu de délicatesse à son égard.

Je viens de lui promettre de lui garder tout ; notre amitié n’est pas rompue. Je reprendrai ma délicatesse d’antan et serai avec Lui ce que d’autres sont avec des épouses adorées.

Le père se souviendra d’un certain retour d’un périple à cheval:

Je rentre dans la basilique Saint-Etienne avec ma cravache à la main, mes guêtres, mon casque colonial sur la tête et je vais directement devant le tabernacle. Dites, est-ce que vous êtes là, est-ce que vous avez existé ? Je suis resté un bon moment tout seul dans cette église, je le sens encore. Si vous n’êtes qu’une ombre, je marcherai en suivant cette ombre, et si vous êtes le néant, j’irai vous rejoindre. J’ai misé sur vous. Je ne changerai pas.

Plus tard il dira : Depuis 1911 jamais…, jamais il ne m’est venu à l’idée de quitter Jésus-Christ.

La Basilique de Jérusalem

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Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Avatar de BOUDAOUD Elisabeth BOUDAOUD Elisabeth dit :

    Une réponse…
    J’étais toute jeune quand j’ai connu le Père Monier… Il m’a appris à entrer dans chaque jour nouveau, la main dans la main avec Jésus Christ !
    Et maintenant que j’ai avancé en âge, je peux dire qu’il m’a préparée au plaisir d’entrer là-haut la main dans la main avec Jésus-Christ… la main dans la main avec chacun de ceux et celles qu’il me donne en mon présent…

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