1886 : Prosper Monier naît le 9 août à 6h du matin à Innimont, petit village du Bugey, de parents cultivateurs dont la foi était vive. Il est le troisième d’une famille de quatre enfants ; trois se feront religieux. De constitution fragile, souffrant toute sa vie d’une santé précaire, il n’en a pas moins un tempérament de feu.
1893 : Mort de son père, maire du village.
1897 : Mort de sa mère. Il est orphelin à 11 ans (« J’aimais ma mère, seulement ma mère… Plus personne pour m’aimer » [1]).
1897-1903 : Il est mis en pension au collège de Belley. « Faible, mais audacieux », c’est un élève doué, forte tête malgré sa faible constitution. En 1898, le rayonnement du Père Crozier, directeur spirituel du collège, être exceptionnel et grand mystique, le marque définitivement en le tournant vers l’amour du Christ. « Pour lui, une seule chose comptait : Dieu est Amour, Dieu n’est qu’Amour… Son influence fut énorme. Son témoignage de vie, son enseignement, son sourire, voilà ce qui m’a donné l’idée d’être prêtre ».
1904 : Il entre au Grand Séminaire à Bourg-en-Bresse, est ordonné prêtre en 1909 à Belley.
1909-1912 : Remarqué pour ses qualités intellectuelles et spirituelles, il est désigné par son évêque pour aller suivre les cours de l’Ecole pratique d’Etudes bibliques de Jérusalem fondée en 1890 par le Père Lagrange, le grand rénovateur de l’exégèse catholique. Il parcourt avec émotion les lieux où vécut le Christ, mais traverse une dure crise spirituelle au contact de la critique historique des textes sacrés. Un jour, seul devant le tabernacle dans la basilique du couvent Saint-Etienne, il interroge longtemps le Christ, et décide : « Si vous n’êtes qu’une ombre, je marcherai en suivant cette ombre ; et si vous êtes le néant, j’irai vous rejoindre… Après cette secouée, dit-il, jamais il ne m’est venu à l’idée de quitter Jésus Christ ».
1914-1918 : Il est réformé pour raison de santé, mais s’engage dans la guerre comme infirmier et aumônier. Il connaît le front, Verdun, qui le marqueront vivement, et passe les six derniers mois de la guerre prisonnier à Münster, où il « se reprend à vivre » en retrouvant les livres et le travail intellectuel.
1918-1921 : Il enseigne au Grand Séminaire de Belley. Il rêve de se faire chartreux, mais une erreur de courrier lui apportera une réponse négative; il verra là le signe que sa mission est ailleurs.
1921 : Une rencontre avec le père Valensin lors d’une retraite sur les Exercices de Saint Ignace le pousse à demander son admission dans la Compagnie de Jésus. Il fait son noviciat à Sainte-Foy lès Lyon, et suit encore deux années de formation, à Hastings en Angleterre puis à Paray-le-Monial.
1924-1925 : Il est professeur d’Ecriture Sainte à Beyrouth ; envoyé ensuite à l’Institut Biblique de Rome, l’atmosphère de conservatisme catholique qui y règne lui rend insupportable, après ses années à l’Ecole de Jérusalem, la perspective d’y enseigner une Ecriture Sainte de convention.
1926-1935 : Il trouve sa voie en devenant aumônier à la Maison des Etudiants catholiques de Lyon ; c’est à son contact que le jeune François Varillon découvrira sa propre vocation, bouleversé par l’appel divin à la liberté et la révélation qui lui est faite de l’amour de Dieu. Il poursuit sa mission auprès des guides d’Alger, de Grenoble, puis en Egypte, au Caire et à Alexandrie; il lance le mouvement des guides aînées ou « guides semeuses ». Former les jeunes le passionne, son témoignage marquera nombre d’entre eux qui le suivront toute leur vie.
A partir de 1935, il est de retour en France (officiellement rattaché à Lyon à la résidence des jésuites du Châtelard ou à celle de la rue Sala). Abandonnant définitivement son rêve monastique, il décide de marcher sur les pas de son Christ bien-aimé, de renoncer à toute existence propre pour s’en faire le témoin, le « prophète » (ainsi l’appelleront ses collègues jésuites) : « Ma vocation personnelle est là, note-t-il dans ses carnets, me tenir pour un pur instrument, tout donné… Nous manquons d’apôtres vivants, et vibrant assez pour réveiller en nous le héros et le saint qui dort. Seigneur, que je sois disponible, libre, audacieux, que je sois tout à votre service, corps et âme, oui, de tout mon cœur et de toutes mes forces » (p. 112).
Constamment sur les routes, il parcourra jusqu’à l’épuisement la France, la Belgique, la Suisse, partout où il est appelé pour des rencontres, des sessions, des retraites, auprès de religieux qu’il veut libérer « des formules et des concepts froids » (p. 129), auprès de laïcs et de jeunes. Il aime particulièrement à prêcher les Exercices de Saint Ignace, Le Sermon sur la montagne, le Christ de Jean et surtout de Paul, l’apôtre entre tous. Il travaillera notamment avec les jeunes de l’Action Catholique, les Petites Sœurs de Jésus au Tubet, les prêtres ouvriers de la Mission de France, à Emmaüs avec l’abbé Pierre, ainsi que dans différents Foyers de charité, comme celui de Châteauneuf de Galaure ; là il ira souvent causer avec Marthe Robin et restera toujours en relation spirituelle avec elle. Son désir passionné était de délivrer les êtres d’une religion de formalismes et de peur et, loin des catéchismes de vertu, de leur faire découvrir à travers le Christ une relation personnelle avec un Dieu tout amour. Sa parole ardente, libératrice, laissera une profonde empreinte chez ceux qui l’entendent. En 1957 il accepte d’accompagner la jeune Association « Air et Vie » de Marmoutier en Alsace, qui ouvrait une maison d’accueil et de convalescence pour femmes, dans un climat amical et respectueux de liberté ; cette maison chaleureuse deviendra souvent un point d’ancrage dans sa vie de nomade, et sa présence rayonnera sur toute l’Alsace.
A la fin de 1970, il ne peut plus poursuivre. Fidèle à son vœu de détachement, il se laisse emmener au Châtelard où il finira ses jours le 26 mars 1977. Pendant ces années de réclusion, des visiteurs viendront souvent le consulter, converser et se réconforter auprès de lui, étonnés de le trouver toujours vif et passionné malgré sa faiblesse. Ce sourire, ce rayonnement furent pourtant toute sa vie arrachés à une grande solitude intérieure, à une constante souffrance intime et à des nuits d’épreuves. Lui qui ne crut jamais vivre longtemps mourra à 91 ans, ayant la veille annoncé joyeusement sa libération à son entourage. Il fut inhumé comme il le souhaitait dans le parc d’ « Air et Vie », cette maison qu’il aimait et à laquelle il avait donné beaucoup de lui-même ; sur sa tombe, une simple inscription : P. Monier, disciple et apôtre de Jésus-Christ. Tout près, il avait remarqué un banc où, disait-il, ceux qui en avaient besoin pourraient encore venir « causer » avec lui.
[1] Les citations en italiques sont tirées des carnets personnels manuscrits du Père Monier.