Interview du Père retranscrite

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Cette retranscription et les captures d’écran sont tirées d’une interview réalisée par la Télévision Suisse Romande.

Nourri dans un paysage très ouvert…

Je suis né sur le dernier promontoire des collines du Jura qui tourne vers le midi. Si vous allez dans mon pays, vous verrez un paysage ouvert, complètement. J’ai été nourri toute mon existence par ce paysage. C’est pourquoi je ne suis pas étroit d’esprit, je ne puis pas.

Quand on me demanderait de ne voir les choses que d’un côté, je répondrais : « je ne puis pas ». Il faut que je voie tout, ou rien. Au point de vue religieux c’est la même chose. Je ne puis pas être pessimiste parce qu’un pessimiste ne voit qu’un côté des choses. Il faut que je les voie tous.

Quand je vois les intégristes, puis les contestataires, je me dis : des deux côtés, c’est la vie qui avance, d’un côté par une sorte de retenue constante qui a peur de se perdre, et de l’autre côté par une nécessité de se jeter en avant. Mais Jésus-Christ se sert de tout ce qui est obstacle pour faire avancer plus vite.

 

L’homme a fait Dieu à son image

Nous disons dans Le Notre Père, à la demande de Jésus-Christ : « Père, que votre Règne arrive sur la terre comme au ciel… » Mais nous, nous avons fait le ciel comme la terre. Nous y avons mis des juges, des policiers : tout ce qui nous énerve sur la terre, nous l’avons logé de l’autre côté. Le ciel n’est plus le ciel, Dieu n’est plus Lui-même… C’est un juge, un président de la République ! C’est effrayant. On m’a dit : « Nous sommes excusables, nous ne connaissons que la terre, alors nous l’avons mise au ciel ! » Oui, mais il faut plutôt désirer que la terre soit comme le ciel, et non le ciel comme la terre. Et comme nous avons fait de la terre un enfer…

La terre, si vous voulez la faire comme Dieu : Dieu est Amour, soyez amour, vous serez semblables à Lui. Il y a dans l’Évangile une phrase très dure. Jésus avait tous les docteurs en face de lui, des professeurs de religion « pratiquantissimes »… Il leur a envoyé cette phrase dure : « Les prostituées entreront dans le Règne avant vous. Vous êtes des hypocrites. Dans ce qu’elles font, il y a un peu d’amour, tandis que dans vos pratiques religieuses il n’y en a point !» Seul l’Amour a le droit d’entrer chez Dieu. Dieu est Amour : vous n’y entrerez pas sans amour.

Il a voulu l’homme, non pas pour avoir quelqu’un en face de Lui, mais quelqu’un qu’Il puisse regarder face à face, personnellement, pour qu’Il me dise « Toi » et que moi je lui dise « Toi ». Voilà ce que veut Dieu. Dieu n’a pas fait le monde pour s’amuser, pour montrer ce dont il est capable. Il a fait le monde pour avoir un être libre avec qui Il puisse parler, à qui Il puisse dire : « Je t’aime ! Et toi ? – Moi aussi je t’aime ! » Le monde alors lui dit d’une manière absolue une chose divine. Quand le monde en sera arrivé là, le monde aura réussi.

 

Libérer l’Homme

 

Ah, libérer les hommes ! J’ai l’impression qu’ils sont tous en prison. Prisonniers de la peur surtout, la peur de tout ! La peur de la mort, la peur de la vie, la peur du qu’en dira-t-on, etc… La peur de Dieu, c’est la plus terrible : la peur de son père, la peur même de Jésus Christ! Il faut redonner confiance. « De quoi as-tu peur ? – J’ai peur de l’enfer. – Hé bien, donne-moi la main, tu n’y iras plus » Quiconque donne la main à son frère ne peut pas être isolé, jamais. « Damné » veut dire isolé.

Un libérateur contestataire ?

Non ! C’est l’Évangile, c’est Jésus-Christ ! Contestataire, ma foi, on peut bien l’être autant que Lui !… mais pas plus. Il y en a qui le sont plus, ils ont tort. Lui sur ce point-là il est terrible : ne donnez rien à Dieu. On ne donne pas de l’eau à une source.

Pour moi, Le Sermon sur la Montagne représente Jésus-Christ lui-même : le regard de Jésus-Christ laisse passer le regard du Père Éternel, du Père de Toujours, du Père Universel, sur sa créature. Il lui dit : « Mon petit, donne-moi ta pauvreté. Tu n’as rien de toi-même, mais tourne-toi de mon côté avec ta pauvreté, ne m’apporte rien. Apporte-moi tes deux mains vides, je les remplirai. Si elles sont pleines, je ne puis rien y mettre. »

Venez avec votre pauvreté, dit Jésus, venez avec votre malléabilité, votre douceur, venez donc avec votre faim et votre soif, Dieu sera à vous. Ne venez pas avec vos vertus mais avec le besoin de Lui, et il est à vous !

Je vois Jésus disant à ses apôtres, à tout le monde et aux siens : « N’ayez pas peur. Moi, je suis votre tête, je suis votre responsable, je ferai tout ce qui m’est possible à moi là où vous ne pouvez pas. Votre passé, je m’en charge, n’y pensez plus. Votre avenir, vous ne pouvez pas l’assurer, je m’en charge aussi. Il y a beaucoup de place chez mon Père et je vais marquer la vôtre, je viendrai vous y conduire.

Le chemin pour y aller ? Je suis le chemin. Appuyez-vous sur moi, mettez-vous avec moi, vous êtes sûr d’arriver, parce que mon Père et moi ne faisons qu’un. Mais il y a une chose que je ne puis pas faire, et c’est pour votre honneur que je ne puis pas la faire. C’est ce qui fait que vous êtes vous-mêmes : vous aimer les uns les autres ! Je ne vous demande pas de m’aimer, je vous demande de vous laisser aimer par moi. Mais aimez-vous bien les uns les autres, portez les fardeaux les uns des autres, et ne vous inquiétez pas du reste. » C’est l’amour du prochain qui est l’accomplissement de toute la loi !

La Vie

Si Jésus-Christ revenait, Il parlerait comme autrefois. Cette hantise de Jésus-Christ m’émeut profondément. Saint Jean, c’est un vieux, plus vieux que mes 83 ans, paraît-il. Il commence son Évangile non pas avec Dieu mais par l’expression de Dieu : le Verbe. C’est un Dieu qui s’exprime. Et qu’est-ce que cette expression ? La Vie ! Et la vie pour les hommes : la lumière.

Cette phrase, tout le monde la connaît. Dieu c’est la Vie, Jésus-Christ y tient. Et Jésus-Christ est venu sur terre, comme il le dit, « pour vous donner la Vie et vous la donner abondante. » Le règne de Dieu est semblable à une graine, et non pas à un meuble. Le règne de Dieu n’est pas semblable à une chose toute faite, mais à quelque chose qui se fait. Quand Il parle du Saint Esprit, il en parle comme d’une source qui jaillit continuellement, pour des vies qui durent. Dieu, son activité est toujours une jeunesse continuelle, un jaillissement, un renouvellement continuels.

Quand vient un excellent docteur qui s’appelait Nicodème, très brave sans doute, Jésus-Christ refuse de causer avec lui : « Tu es trop vieux ! » Il n’était pas si vieux sans doute. « Tu es trop vieux, Nicodème, il faut renaître à nouveau, en esprit, complètement. Il faut que tu reprennes vie, il faut qu’à chaque instant tu sois une cellule qui se renouvelle… » Un vivant qui cesse une minute de se renouveler est perdu, il est mort.

Et Jésus-Christ insistera : « Quand tu m’auras vu sur une croix, vivant, sur une croix ! que tu verras que je ne suis pas un mort, alors tu sauras à qui tu as à faire. Quand tu verras mon amour… » Quelqu’un qui aime n’est jamais mort.

Les jeunes, c’est la même chose : « Vous voulez vivre, c’est entendu ; il ne manquerait plus que vous ne veuillez pas vivre ! Mais il faut vivre en aimant. Et aimer, c’est donner, c’est se donner, c’est pardonner : alors vous y êtes. Aux jeunes, il faut leur prêcher ce que Jésus Christ a prêché, c’est toujours jeune, plus jeune que jamais. Un Saint Paul est encore très jeune. Quant à Saint Jean, alors… c’est la jeunesse même !

L’Eglise

 

L’Eglise, il faut que la vie y soit. S’il n’y a pas de vie dedans c’est la mort.

Les structures, la hiérarchie, la tradition, les rites… Bien sûr, je marche avec mes souliers. Les souliers ce sont les structures, les vêtements, les portes, tout ça est utile, c’est même nécessaire. Mais ce ne sont pas les souliers qui marchent, ce sont les deux pieds qui mènent les souliers.…

 

Et à Brangues, Claudel un jour me dit une chose triste, dure, en passant sous l’allée des tilleuls : « Vous allez prêcher la retraite à nos prêtres à Grenoble? Dites-leur que les enfants de Dieu ont faim, et qu’ils ne digèrent pas les cailloux. – Quels cailloux ? – Le catéchisme : du pain pétrifié, ce n’est guère plus digeste». Attention ! Si vous n’avez pas le respect, l’amour de l’homme, non, vous n’êtes capable de rien ; ni de foi, ni d’espérance, ni de charité, ni d’humanité, rien du tout !

 

Les jeunes

Je comprends que les jeunes ne voient rien. Le passé, ils n’en veulent plus ; l’avenir, ils ne l’ont pas. Ils ont besoin d’être aimés. Ils ont besoin qu’on les soutienne, ils ont besoin qu’on comprenne qu’ils sont des jeunes, et d’être respectés : c’est leur permettre d’être eux-mêmes.

Ils ont besoin qu’on leur sourie, qu’on les aime, qu’on les estime et qu’on leur pardonne s’il y a à pardonner : « Mon pauvre vieux ! Tu es comme ça, oui c’est entendu, et alors? Allez viens ! » Dieu pardonne bien, il faut bien pardonner à notre tour ? Jésus-Christ, qu’a-t-il fait ?… Quand je vois qu’on tape sur les jeunes, ça me fait mal. Il faut leur pardonner : la question n’est pas qu’ils en aient envie, la question est qu’on leur donne ce dont ils ont besoin.

Pardonner, n’est-ce pas donner raison ?

On n’a jamais complètement tort… Quand on me demande de donner une définition du mal, je donne celle de Saint Thomas : c’est le bien qui se cherche et qui se trompe de chemin. Personne ne cherche son mal, n’est-ce pas? Mais on ne sait pas où il est. Et les jeunes cherchent leur bien, quand même ils envoient des pavés à la police. Ils ne cherchent

pas le mal, ni de la police, ni de personne… Seulement, ils se trompent de chemin.

Quand on me parle de christianisme, je dis : c’est la vie humaine  vécue à la mode du Christ avec la présence de son Esprit pour nous lier ensemble. Les rites, faites-en si vous voulez, à la condition qu’ils vous lient ensemble !

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