Témoignages

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« Le mystique »                                                                               « Le solitaire »

Le P. Monier vu par le sculpteur Eugen Renggli, linogravures

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Croiser un homme de quatre-vingt cinq ans pour apprendre de lui la jeunesse, celle du cœur et de l’esprit, n’est pas chose courante. Je n’en ai rencontré que deux : Jean XXIII et le Père Monier. De l’apparence ils ne partageaient que ce regard vif et malicieux tourné tout entier vers l’avenir. Pour le reste, rien de commun, du moins au physique. Le Père Monier est petit et malingre ; il porte une barbe blanche qui contraste étrangement avec un sourire venu de la plus haute enfance. La vitalité de l’à-propos, la mobilité du regard et du geste, l’intelligence rayonnante de profondeur et de malicieuse bonté, l’humour qui sans cesse rejoint et exprime la liberté, voilà qui surprend de jeunesse. Ce jésuite détaché, qui ne sait jamais le nom de son Provincial, ce théologien pétri de Bible et pénétré de Saint Paul qu’il sait par cœur, cet humaniste libéré de ses livres, ce prédicateur infatigable, avec rien dans les mains et rien dans les poches, ce nomade sans domicile fixe, est devenu tout entier parole de Dieu. Tel l’apôtre des Nations, il dit simplement, en langage direct, vrai, accessible, ce Jésus qui le fait vivre au-delà de son âge et de sa génération. Et il ne dit jamais autre chose que ce qu’il vit. Tous ceux qui l’ont un jour rencontré restent à jamais marqués par l’image du Christ qui l’imprègne et que transmet sa parole.

Chanoine P. Boekel, L’Enfant du rire, Grasset 1873

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Il lui arrivait d’être à Innimont (son village natal, dans le Bugey) pour la fête-Dieu, fête qui attirait beaucoup de monde, des pèlerins et de nombreux curés. (…) Cette année, c’était en 1945, on portait en procession dans toute la France la Vierge de Boulogne. Or, le maire d’une municipalité dans l’Ain ayant refusé le passage de la procession sur sa commune, se tua la nuit suivante dans un accident d’auto. L’un des curés, encore imbu des idées de l’Ancien Testament, déclara à haute voix : « La sainte Vierge s’est vengée ». Alors se dressant de toute la hauteur de sa petite taille, le P. Monier s’écria : « Si c’est ça la sainte Vierge, c’est une garce !». Grand silence, étonnement, suivi d’une explication par le Père sur le rôle de la Vierge.

Sa théologie, reflet de celle de Saint Jean et de Saint Paul, est libératoire. Nous avons un grand prêtre, Jésus-Christ, qui prend tout sur Lui. Alors ne perdez jamais confiance, même si vous ne réussissez pas à imiter, même de loin, ce que nous propose Jésus-Christ.

Il aimait la liberté. Comme il avait cessé de fumer depuis longtemps, mais gardait toujours à 80 ans le goût du tabac, il estimait qu’il n’était pas libre s’il n’était pas capable de fumer de temps en temps un cigare, sans pour autant reprendre l’ancienne habitude à laquelle il avait renoncé, je crois, en Palestine. Alors, on fumait en chœur un cigare suisse, pays où il allait souvent. Or, un jour qu’il se trouvait en gare de Cornavin portant des chaussures neuves, il fut accosté par un clochard qui marchait à peu près nu-pieds. Il lui fit cadeau des chaussures neuves, après essai, que des amis lui avaient offertes, et il reprit les anciennes qu’il avait dans son sac. Il lui arrivait souvent aussi de vider le contenu de son porte-feuille entre les mains d’un mendiant en se disant : « la Providence le remplira bien de nouveau… »

Abbé Poncet, curé d’Ambronnay, Ambérieu, 21 mai 1985

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Le P. Monier : esprit très ouvert (« je regarde… »), extrêmement cultivé (familier des philosophes de l’Antiquité, des sages hindous, de St Thomas), logicien et dialecticien tranchant, théologien jusqu’au bout des ongles, jésuite racé.

D’une vitalité extraordinaire malgré ses 72 ans, d’une très riche expérience, aux aguets de toutes les formes d’apostolat moderne (collaborateur direct de l’Abbé Pierre), mais impossible à enfermer dans  un système quelconque, c’est l’homme qui donne la sensation directe de ce que peut être la vraie liberté.

Le secret de sa personnalité est sa vie dans le Christ, son unique passion. Et ainsi c’est son engagement personnel qui, semble-t-il, est déterminant pour le rendement de sa parole de feu.

Le genre du P. Monier est le genre prophétique. Pas de doctrine distribuée et monnayée d’une façon didactique, mais toujours  la vision de la totalité, ce qui fait qu’il baigne l’esprit de son auditeur et entraîne son cœur dans la vérité, et la vérité est pour lui dans l’amour. Aussi, son exposé ne permet pas la discussion, mais arrache l’adhésion, ou ferme. On peut lui appliquer sans restriction l’aphorisme de Pascal : « La vraie éloquence se moque de l’éloquence, la vraie morale se moque de la morale, c’est à dire que la morale du jugement se moque de la morale de l’esprit, qui est sans règle » (Pensées Laf. 911). Il donne vraiment l’impression de « l’homme spirituel qui juge de tout et ne relève lui-même du jugement de personne » (I, Cor. II 15).

D’où l’intérêt exceptionnel et le profit spirituel étonnant qu’on peut retirer de ses causeries. Sa pensée, véritable communion avec le réel, gravite autour de ces données fondamentales de la vie et de l’Evangile : Dieu est vie et feu ; valeur absolue de l’homme en Dieu (il n’y a pas d’autre absolu ni sur terre ni dans le ciel) ; Dieu ne s’intéresse qu’à l’homme vivant et à la famille humaine ; l’homme ne vaut que par son dépassement. La vie humaine est dans le Christ tout entière don : sans cesse recevoir, sans cesse donner. L’amour, c’est tout. Les fausses attitudes religieuses sont démolies avec fougue.

Notes d’Antoine Ruscher, P. du Saint-Esprit à l’occasion d’une session du P. Monier S.J., sur le Sermon sur la montagne, à Lucelle 16-25 août 1957

Saverne, 7 nov. 1957

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L’Eglise s’est trop longtemps emprisonnée dans une présentation très abstraite et peu attrayante du message chrétien. On nous avait fait avaler tant de notions et d’interdits que nous n’arrivions pas à digérer ! Des cailloux ne peuvent devenir de la nourriture.

Dans cette perspective, le ministère du Père Monier et son rayonnement sensationnel prennent toute leur signification. Sans cesse, il a réagi passionnément contre une prédication irréelle, sans ancrage vital, sans âme et sans feu. Le but qu’il poursuivait n’était pas tellement d’instruire et de faire accumuler de savantes connaissances ; il voulait aider, avant tout, à faire l’expérience merveilleuse de Dieu, d’une rencontre amoureuse avec Dieu.

Par sa parole, par la contagion de son feu intérieur, il cherchait à faire découvrir aux hommes ce qu’il y a de captivant, de vivifiant, de chaleureux et de bouleversant dans le message et le mystère de Jésus-Christ.

Il n’hésitait pas à dire qu’on nous a parfois enseigné des manières de faire fausses. Le Seigneur, disait-il, a demandé que la priorité soit donnée au sel et non à la salière, à la lumière et non au chandelier, au levain et non aux casseroles ou au moulin à farine.

Mgr L. A. Elchinger, Centenaire du P.Monier, Abbatiale de Marmoutier, 14 Sept. 1986

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